- Maxime Coulet
- 26 févr.
- 15 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 mars

Depuis avril 2023, le Soudan est plongé dans un conflit brutal opposant les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, aux Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti. Ce conflit, souvent relégué aux marges de l'actualité internationale, incarne pourtant une lutte de pouvoir féroce aux enjeux géopolitiques majeurs, où s'entrelacent rivalités locales, ambitions géostratégiques et intérêts globaux. Derrière la violence se cachent des dynamiques complexes : la lutte pour le contrôle des ressources stratégiques, les ingérences de puissances étrangères et les fractures internes d'un pays encore marqué par des décennies de guerre civile. La tragédie soudanaise s’enlise dans l’ombre, menaçant non seulement la stabilité du pays mais aussi celle de l’ensemble de la région.
Mise en Contexte
Le Soudan, une nation fracturée par l’Histoire
L’histoire moderne du Soudan est marquée par des fractures profondes, des guerres civiles à répétition et des rivalités politiques qui ont façonné un pays en perpétuelle quête de stabilité. Retour sur les grandes lignes de cette Histoire difficile.
1956 : L’indépendance et les premières tensions
Le 1er janvier 1956, le Soudan obtient son indépendance du Royaume-Uni et de l'Égypte. Mais l’espoir d’un avenir pacifique est rapidement étouffé par des tensions internes. Le Sud, à majorité chrétienne et animiste, se sent marginalisé par un pouvoir centralisé dominé par le Nord, majoritairement musulman et arabisé. Cette fracture culturelle et religieuse donne naissance à une insurrection dans le Sud, plongeant le pays dans sa première guerre civile.
1972 : Une paix fragile
Après près de 17 années de conflit, les accords d’Addis-Abeba signés en 1972 mettent fin à la guerre. Le Sud obtient une certaine autonomie, et une lueur d’espoir renaît. Cependant, cette paix reste fragile. Les tensions persistent, notamment autour du partage des ressources et des divergences culturelles.
1983 : Le pétrole, catalyseur du chaos
Le fragile équilibre vole en éclats en 1983 lorsque des gisements de pétrole sont découverts dans le Sud. Le président Gaafar Nimeiry décide alors d’abroger les accords d’Addis-Abeba, mettant fin à l’autonomie du Sud et imposant la charia à l’ensemble du pays. Cette décision ravive les tensions et déclenche une deuxième guerre civile. Cette fois, la rébellion sudiste reçoit le soutien de puissances étrangères, notamment l’URSS, dans le contexte tendu de la guerre froide.

1989 : Le virage islamiste d’Omar el-Béchir
En 1989, un coup d'État militaire propulse Omar el-Béchir au pouvoir. Son régime prend un virage islamiste radical et adopte une posture anti-occidentale. Le Soudan est placé sur la liste des États soutenant le terrorisme et subit une série d’embargos internationaux, accentuant l’isolement du pays.
2003 : Le drame du Darfour
Alors que la guerre civile dans le Sud fait rage, un nouveau conflit éclate en 2003 dans la région du Darfour, à l’ouest du pays, lorsque des groupes rebelles, principalement le Mouvement de Libération du Soudan (MLS) et le Mouvement pour la Justice et l'Égalité (MJE), prennent les armes contre le gouvernement soudanais, l'accusant de marginalisation politique et économique. Les milices Janjawid, soutenues par le régime d’el-Béchir, mènent une répression brutale contre les populations locales. Les violences atteignent une telle ampleur que la communauté internationale parle de génocide.
2011 : Indépendance du Soudan du Sud et nouvelles fractures
Le 9 juillet 2011, après des décennies de guerre, le Soudan du Sud obtient son indépendance par référendum. Mais la naissance de ce nouvel État ne résout pas les tensions. Au Sud, une guerre civile éclate rapidement entre différentes factions. Au Nord, le Soudan fait face à une crise économique sévère, aggravée par la perte des revenus pétroliers dont la majeure partie provient désormais du Sud.
2019 : Chute d’el-Béchir et début des rivalités militaires
Sous la pression des sanctions économiques et d’un soulèvement populaire massif, Omar el-Béchir est renversé par l’armée en avril 2019. Un Conseil militaire de transition est mis en place, dominé par deux forces : les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide (FSR), commandées par Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemetti. Les FSR trouvent leurs origines dans les redoutées milices Janjawid.
En juillet 2019, un fragile compromis est trouvé : un Conseil de souveraineté composé de civils et de militaires est instauré, avec al-Burhan à sa tête et Hemetti en second. Mais les tensions entre les deux hommes ne tardent pas à émerger, notamment autour de l’intégration des FSR dans l’armée régulière.
2021-2023 : De la rupture politique à la guerre ouverte
En octobre 2021, al-Burhan écarte les civils du pouvoir, rompant le fragile équilibre du Conseil de souveraineté. Les désaccords avec Hemetti s’exacerbent. En avril 2023, ces tensions dégénèrent en affrontements ouverts. Le 12 avril, les FSR déploient leurs troupes autour de la capitale Khartoum, suscitant l’inquiétude des FAS qui exigent leur retrait immédiat. Trois jours plus tard, le 15 avril, les FSR lancent une attaque coordonnée sur plusieurs sites stratégiques : l’aéroport international, le palais présidentiel et plusieurs casernes militaires.
Le Soudan plonge alors dans une nouvelle guerre civile, opposant deux anciens alliés, tandis que la population, déjà éprouvée par des décennies de conflits, se retrouve une fois de plus prise au piège d’une lutte de pouvoir sanglante.

Dans l'Actualité
La Guerre au Soudan s'intensifie
À l'heure où nous écrivons ces lignes, le conflit fratricide qui ravage le Soudan depuis avril 2023 continue de s'intensifier, plongeant le pays dans une spirale de violences sans précédent. Les récents événements témoignent de l'escalade du conflit entre les Forces de soutien rapide (FSR) et les Forces armées soudanaises (FAS), renforçant la crise humanitaire et les tensions politiques.
Le 17 février 2025, deux villages de l'État du Nil Blanc ont été la cible de bombardements aériens meurtriers. Ces attaques ont provoqué la mort d'au moins 35 civils et blessé des dizaines d'autres. Les témoins sur place décrivent des scènes de chaos, avec des habitations détruites et des survivants tentant désespérément de fuir les zones touchées. Bien que les FAS aient nié toute responsabilité dans ces frappes, plusieurs observateurs internationaux pointent du doigt l'armée régulière, accusée de multiplier les offensives contre les zones tenues par les FSR.
Parallèlement, certaines sources rapportent une série de massacres perpétrés par les FSR dans les quartiers périphériques de Khartoum. Des dizaines de civils auraient été exécutés sommairement, tandis que d'autres auraient disparu lors de rafles organisées par les miliciens. Ces exactions, dénoncées par de nombreuses ONG, renforcent les accusations de crimes de guerre portées contre les FSR. Dans le même temps, les FAS progressent vers le centre de Khartoum, consolidant leurs positions et tentant de reprendre le contrôle des secteurs stratégiques.
Par ailleurs, les Forces de soutien rapide (FSR) et leurs alliés ont signé à Nairobi le 23 février 2025 une charte politique officialisant l’intention des FSR de créer un gouvernement parallèle dans les territoires qu’ils contrôlent actuellement. Cette initiative vise à consolider leur pouvoir et à donner une légitimité politique à leur présence sur le terrain, tout en accentuant la fracture institutionnelle du pays.
Ces récents développements soulignent l'impasse militaire et politique dans laquelle se trouve le Soudan. Alors que les négociations de paix sont au point mort, la population civile continue de payer le plus lourd tribut de ce conflit interminable. La communauté internationale, bien que préoccupée, peine à trouver une réponse coordonnée face à la complexité de la situation sur le terrain.
Les récentes offensives à Khartoum s'inscrivent dans une lutte stratégique pour le contrôle des infrastructures clés et des axes de communication vitaux. Les FAS cherchent à reprendre le contrôle du centre-ville de Khartoum et des principaux carrefours afin de couper les lignes d'approvisionnement des FSR. De leur côté, les FSR tentent de maintenir leur emprise sur les quartiers périphériques tout en perturbant les avancées de l'armée régulière, notamment en ciblant les bases militaires et les points de ravitaillement.
Le contrôle de Khartoum revêt une importance symbolique et stratégique majeure. Capitale politique et économique du pays, la ville est également un nœud logistique crucial. Dominer Khartoum permettrait à l'une des factions de revendiquer une position de force lors d'éventuelles négociations, tout en consolidant son autorité sur les institutions étatiques.
Les combats intenses autour des infrastructures critiques — telles que l'aéroport international, les ponts sur le Nil et les bâtiments gouvernementaux — témoignent de la volonté des deux camps de s'assurer un levier stratégique décisif.
L'ONU a publié une infographie sur la situation désastreuse au 30 janvier 2025 :

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